Déclaration d’Adis Abeba

Pour la reconnaissance du dessin de presse comme un droit fondamental

Nous, les signataires de cette déclaration « Pour la reconnaissance du dessin de presse comme un droit fondamental », réunis ou représentés à Addis-Abeba le 3 mai 2019 lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse 2019 (World Press Freedom Day 2019) de l’UNESCO,

Rappelant que le dessin, l’illustration, la peinture, le graff… forment un langage spécifique et universel, celui de l’image, présent à travers toutes les cultures dès l’aube de l’humanité et témoin de l’Histoire de l’Homme.

Rappelant que comme tout langage, l’image exprime à la fois le commun comme les particularités, tant culturelles qu’individuelles : la singularité d’une culture comme la subjectivité du point de vue de l’artiste. Sa diversité traduit la richesse et la vitalité d’une société démocratique. Elle est constitutive de la culture et donc de l’Humanité-même.

Rappelant que la liberté de son expression est donc un marqueur essentiel de la qualité du vivre ensemble et une condition indispensable au droit d’opinion et à la liberté de conscience, ainsi que de leur expression inscrits dans la Déclaration des Droits de l’Homme.

Rappelant que le dessin de presse, qui prend son essor dans nos sociétés « modernes » au 19e siècle, est l’un des héritiers et l’une des formes de ce langage de l’image. En racontant son époque, le dessinateur de presse peut mettre en lumière des débats ou des phénomènes émergents. Il peut même constituer un véritable contrepouvoir : la liberté de critiquer un gouvernement ou une institution quelle qu’elle soit est l’affirmation du droit de regard du citoyen sur les affaires publiques. Ce droit de regard est le socle de la démocratie.

Rappelant que le dessin de presse est un moyen d’expression qui nécessite une attention spécifique du fait de sa singularité : il s’agit d’un moyen d’expression qui repose sur une connivence supposée entre le dessinateur et le lecteur. Cette connivence est basée sur des codes de langage et notamment l’humour, la dérision, la réflexion, la satire, l’exagération, l’ironie ou la métaphore… Ce moyen d’expression est donc particulièrement sujet à l’interprétation subjective. Le développement d’internet, qui a rendu la circulation du dessin de presse mondiale et instantanée, favorisant ainsi sa dé-contextualisation, a alimenté les crispations et les ressentis autour de ce moyen d’expression.

Rappelant que la liberté du dessin de presse est aujourd’hui encore particulièrement menacée. Les rapports de Cartooning for Peace, Human Rights Watch, de la Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme ou de Reporters sans Frontières alertent sur la situation de dessinateurs de presse victimes de censures, de poursuites judiciaires, de licenciements abusifs, d’emprisonnements ou de menaces de mort.

Exprimant nos remerciements au Gouvernement de la République démocratique fédérale d’Éthiopie, à l’Union Africaine, à l’UNESCO et à Cartooning For Peace pour la contribution à l’organisation de ce séminaire et au processus de la déclaration. L’UNESCO oeuvre pour la paix et pour que chaque citoyen du monde puisse jouir d’une liberté d’expression pleine et entière, socle de la démocratie, du développement et de la dignité humaine. Dans le cadre de ce combat pour la paix et la liberté d’expression, elle promeut et soutient la liberté de la presse en général et la liberté du dessin de presse en particulier.

Déclarons ce qui suit :

  1. Nous rappelons solennellement que la liberté de dessiner est un droit fondamental inscrit dans l’article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, aux termes duquel « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit à ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». De même, la résolution 25 C /104 de la Conférence Générale de l’UNESCO de 1989 rappelle le droit à « la libre circulation des idées par le mot et par l’image aux niveaux international et national ».
  2. Nous rappelons le droit intangible à l’intégrité physique du dessinateur de presse et notre opposition à toute menace ou pression de quelque nature que ce soit envers le dessinateur ou la dessinatrice de presse. Nous proposons qu’un rapport spécifique soit remis chaque année à la Direction Générale de l’UNESCO et transmis aux Etats membres.
  3. Nous appelons les Etats et la communauté internationale à ouvrir des processus de discussions et de réflexions sur « le droit à la satire et à l’irrévérence ».
  4. Nous reprenons à notre compte l’initiative envisagée par plusieurs organisations de presse et nous demandons à l’UNESCO de consacrer une journée mondiale du dessin de presse
  5. Nous demandons à la Direction Générale de l’UNESCO de transmettre cette présente déclaration à la communauté internationale lors de la prochaine Conférence générale de l’UNESCO.